lundi 17 février 2014

Si le Ché voyait ça ...

Nous avons quitté Key West la veille et après une jolie navigation vent de travers à combattre les courants nous arrivons en vue des cotes cubaines. Comme indiqué dans les instructions, dès le franchissement des eaux nationales nous nous déclarons à la radio... pas de réponse. Nous renouvellerons nos appels toutes les demi-heures sans plus de succès. Nous arrivons dans un pays au régime sévère et nous n'avons pas l'intention de prendre la législation locale à la légère...

Nous arrivons en vue de la marina Hemingway... enfin, "en vue" est un bien grand mot car on ne voit rien,
pas de batiments, pas de mats, pas non plus de signalisation, rien. On continue sur notre route, quand soudainement, les autorités nous appellent à la radio. On nous demande d'ou on vient, combien on est à bord et nos intentions, puis on passe aux "aides à la navigation" qui nous permettent de rentrer dans l'embouchure, puis arriver devant les batiments bas des autorités. Tout le monde est là et tout le monde nous attend pour attraper nos amarres, le quai est en béton avec du ferraillage qui sort par endroit, la finission gel coat, même si elle n'est plus parfaite depuis l'épisode New York, tremble de peur. La manoeuvre s'effectue sans difficulté, on coupe les moteurs, les agents de la "Guardia Frontera" nous demande nos passeports et les papiers du bateau et disparaissent avec en nous demandant de ne pas bouger... Tout le monde est souriant mais tout de même en tenue militaire avec armes à la ceinture, nous obtempérons donc.

Quartier résidentiel chic de la Havane...


Le Parque Central
Puis ce sera le défilé à bord, chacun à son tour, ministère de la santé, ministère de l'agriculture et sanitaire, immigration, douanes, lutte anti-drogue et garde-frontière... Le contact est excellent, les gens, médecins, controleurs et militaires sont sympathiques et souriant et on discute de notre voyage, eux nous félicitent de l'ordre qui régne sur le bateau, l'armoire a pharmacie, les outils et pièces détachées, les équipements de sécurité, etc, mais cela n'empéchera pas que chacun nous demandera 20 dollars de bakchich pendant leur inspection. Puis on voit arriver une peluche sur pattes, un jeune chien, le genre de toutou couleur caramel qui donne tout de suite envie de le caresser, il me saute sur les genoux en remuant la queue, il est doux et mignon. Il est aussi, m'explique t-on, chargé de détecter la drogue (cocaine, marijuana) sur le bateau avec son maitre-chien qui m'expliquera que la vie est difficile à Cuba et que ses enfants sont à l'école et voila leurs photos.... ça va, ça va, j'ai compris, voila 20 dollars... Nous sommes dorénavant autorisés à séjourner sur le territoire cubain pour une durée de 30 jours, on nous indique une place le long du quai de la marina, celle-ci à du être dessinée initialement pour être une base de sous-marins russes tant elle n'est pas pratique, les douaniers préfèrent même le ridicule et prennent un pédalo pour aller a leur bureau et ainsi eviter de parcourir inutilement 5 km a pieds!

Quartier moins chic ...
Le soir même nous prendrons un taxi (une Lada qui ne tient plus que grace à la rouille!) pour aller retrouver nos parents qui résident dans les vieux quartiers de la Havane au Sevilla, l'hotel qui à accueilli le célèbre Lucky Luciano. Nous découvrirons ainsi cette ville qui fut magnifique et qui le sera, nous l'espérons, à nouveau un jour. Hélas, 50 ans de dictature ont anéanti le "beau" et "l'agréable", des notions qui ne "servent" à rien et sont donc bannis de ce régime qui, malgré qu'il s'assouplisse devant l'évidence, reste encore un peu trop strict pour que ce pays soit "cool". C'est donc parfois à travers les façades en ruines qu'il faut faire travailler son imagination et "voir" la ville, ses quartiers vivant, son charme désuet amplifié par ces fameuses berlines américaines des années 50, son atmosphère chaude et chaleureuse ou rhum et musique sont roi et reine et font oublier l'ambiance socio-politique du pays. En effet, 3 notes de musique, 3 pas de salsa et les sourires reviennent sur les visages... Nous resterons ainsi baigner dans cette ville figée dans les années 50 et nous laisserons bercer par son passé, son ambiance, son architecture et l'indefectible gentillesse des cubains.
Batiment administratif...

Vie quotidienne: la boule jaune devant la boulangerie, c'est un taxi...

Pour les connaisseurs ... Un MZ 150...
Nous profiterons aussi de cette escale pour faire des incursions dans l'intérieur du pays, nous connaitrons ainsi mieux son histoire, par exemple que les français ont toujours très présent à Cuba. Nous partirons pour la superbe vallée de Viñalès, à l'ouest du pays, ou les premiers colons, des français, ont repéré dès 1600 les terres fertiles et le climat humide et developperons ainsi de fructueueses plantations de tabac, de fruits et tubercules ainsi que des élevages de porcs et bovins. Cette vallée possède des paysages exceptionnels au relief étrange issu d'une lente érosion dans un sol calcaire créant ainsi des collines aux formes étonnantes, les "mogotes", à voir absolument.
La ville principale de la province est Pinar del Rio, ou sont rassemblées, triées, calibrées et préparées les feuilles de tabac de la région qui iront dans les nombreuses fabriques de cigares. Et oui, les Montécristo, les Cohiba et autres Roméo-et-Juliette sont issus des fabriques cubaines, les meilleurs cigares du monde selon les connaisseurs. Tout est intégralement fait à la main et le controle qualité est impitoyable. L'éventail de prix à la pièce est le même que pour une bouteille de Bordeaux, du raisonnable au déraisonnable. Moi, qui m'était toujours demandé comment se faisait la fabrication, j'ai été ravi de le découvrir cela dans ces ateliers
traditionnels.
Un des nombreux vallons de la vallée de Vinales

Attelage de boeufs dans une plantation de tabac

Plantation de tabac, devant un "mogote".

La crise du transport possède du bon ...

Sandrine, chez Hemingway...
Nos ballades "terrestres" nous feront passer par la maison d'Ernest Hemingway, personnage presque aussi celèbre à Cuba que le Ché, Ernesto Guévara, en tout cas beaucoup plus marrant quand on suit un peu son quotidien, ici, à Cuba. Nous avons même suivi sa trace jusqu'au port de pêche ou était amarré son bateau et le bar du port ou il partait en bordée avec les pêcheurs du coin et ou un cocktail porte même son nom, le Papa's Spécial, qui n'est en fait qu'un Daïkiri avec double dose de rhum... Je vais relire Hemingway avec un autre regard sur cet homme qui savait apprécier les choses simples de la vie.

Trinidad, ou la lente ambiance chaude d'un centre ville...

Puis ce seront les villes de Cienfuegos batie par les colons français, puis Trinidad et Santa Clara, le fief du Ché que nous visiterons, parfois sous la pluie, car nous sommes encore en hiver et les fronts froids se succèdent. Nous sillonnerons ainsi le pays, pour arriver malheureusement à une triste réalité, Cuba n'a aujourd'hui plus les moyens d'entretenir le pays. Hormis, certains batiments de belle facture et repeints, une urgence de travaux fait que de nombreux dégats deviennent, hélas, irrémédiables. Les routes deviennent de moins en moins praticables, dangeureuses par endroits, interdites la nuit pour certaines. Les campagnes habitées grace aux "fermes d'états" sont en danger car ces dernières deviennent insalubres par manque de maintenance, plus de pièces détachées donc plus de réparation. On voit ainsi des tracteurs et machines agricoles disséminées un peu partout abandonnées car en panne. Parfois il suffisait de peu de chose, une courroie, un axe, un pneu, pour qu'elles repartent au travail mais le système de fonctionnariat à l'échelle d'un pays anéanti la réactivité, désencourage l'initiative, allonge les délais et laisse
rouiller les machines au bout du champs. D'abord une puis deux et ainsi de suite depuis l'éffondrement du bloc soviétique et, aujourd'hui, on ressort les attelages de boeufs et on abandonne la mécanisation au détriment de la quantité de nourriture à produire. Le système même des tickets de rationnement, ne permet plus de nourrir les cubains, hier suffisant pour 1 mois, aujourd'hui seules 2 semaines sont couvertes par le système d'état... Alors comment font-ils? Le système D est omniprésent, l'entraide et le partage sont des réalités et chacun à un membre de la famille qui est parti en Espagne ou qui travaille dans le tourisme et alimente les frigos de la famille, difficilement. On pourrait croire que les Cubains pourraient acheter ce qu'il leur manque mais le système de double monnaie là-encore à explosé avec une différence de 1 à 30 et interdit l'achat de viande (poulet et porc uniquement, le boeuf étant réservé aux dirigeant et aux sportifs professionnels, nous avons accueilli à notre bord un patron de pêche qui avait fait 4 jours de prison pour avoir acheté quelques centaines de grammes de boeuf au marché noir). Le riz aux fèves et les pates à la sauce tomates sont les plats nationaux d'aujourd'hui, les cubain mangent mal et ça, c'est un signe alarmant, socialement parlant.
Que faire ? Personnellement, je leur proposerais bien de ... faire la révolution et changer tout ça ! Mais il nous apparait de très mauvais gout de parler aux cubains de leur situation politique actuelle et de leur expliquer qu'au lieu de suivre le Ché et Fidel leurs parents et grands parents auraient du faire preuve d'initiative et entreprendre autre chose qui les ferait manger à leur faim aujourd'hui et avoir des maisons en bon état mais nous ne sommes pas de taille à savoir ce qu'il y a de mieux pour eux et n'avons légitimement aucun droit pour juger. Alors quand le système ne va pas, on s'interresse aux individus et là, miracle, ce sont des blocs de pure gentillesse avec lesquels on passe de superbes moments de simplicités, de complicité et de bonheur authentique.

Trinidad... la place centrale...

L'église de Trinidad

Le théatre de Cienfuegos, sous la pluie ...


Le musée de la baie des cochons
Cela fait 1 mois que nous sommes à Cuba il est temps de penser à notre extension de visa. C'est de l'administratif et nous sommes dans un pays qui "aime" l'administratif, n'oublions pas que Cuba est comme une mairie ou un ministère, tout le monde est fonctionnaire, avec une "fonction" qui commence ici et s'arrète là, l'ensemble étant soigneusement bien cloisonné alors notre démarche peut prendre du temps, nous prévoyions 2 jours, nous avons eu raison... Officiellement, nous avons le droit de rester 30 jours sur le territoire, renouvelable 1 fois. Nous avons entendu en bruit de ponton que, de manière extrêmement rare, un 3ème mois est accordé mais il ne faut pas compter dessus. Ensuite si on veut prolonger son séjour, il faut faire un aller retour "ailleurs" (Key-West quand on est au Nord, les îles Caïmans quand on est au sud) et refaire une demande d'entrée d'1 mois que l'on peut prolonger etc. Pour notre prolongation il nous faut un timbre fiscal, donc primo trouver un endroit ou cela se vend, y aller, faire la queue devant le garde armé, faire la queue une fois à l'intérieur, montrer son passeport au guichet, remplir des formulaires (des jaunes, des bleus, etc), signer et aller (avant 15h) au bureau d'immigration, à quelques km de là.Une fois nos travaux d'Asterix achevés, on arrive devant l'officier d'immigration, une femme charmante, qui commence à remplir un formulaire pour chacun et nous demande innocemment:
  • "Combien de mois de prolongation?", on se regarde et on demande :
  • "A combien on a droit? ", elle nous répond:
  • "Si vous avez 1 timbre, 1 mois, si vous avez 2 timbres c'est 2 mois..." ???
Nous voila donc reparti pour une boucle administrative pour aller chercher des timbres supplémentaires, puis retour devant la femme charmante et hop, prolongation de 2 mois... Surprenant, non? Pour tout vous dire, nous venons, le jour ou on écrit, d'obtenir une autre prolongation pour un 4ème mois sans avoir à sortir du pays... Allez comprendre...


Le Bicy-Taxi, une institution cubaine ...

Le Théatre de Santa-Clara

La vallée de l'Ingenio, son train, sa gare...


Un mur typique cubains, les affiches sont interdites...
Bon, nous pouvons quitter la Havane et prendre la route vers l'ouest. L'approvisionnement fut difficile car tout est rare, nous n'aurons donc ni viande, ni fromage, seuls des oeufs, des fruits et des légumes que nous aurons déniché en nous aventurant dans les bas quartiers autour de la marina.. Nous avons pourtant découvert "le" supermarché de la Havane... Nous avons pris un taxi pour y aller et tous nos sacs de provisions pour revenir avec "le plein"... Nous arrivons devant un entrepot industriel aux dimensions si faibles que nous craignons le pire. Malgré les gardes armés à l'entrée qui nous demandent de nous débarrasser de nos sacs, l'endroit est désert, pas les allées mais les rayons... on se croirait en Europe de l'Est dans les années 70: la peinture vert pastel qui s'écaille et l'éclairage au néon mettant en valeur des rayonnages complets de pates, de riz et de gateaux secs, de rhum et de boite de thon, de serpillère et de gel douche pour arriver au fond du magasin sans n'avoir rien pu mettre dans le caddie tant le décalage entre notre liste de courses et l'offre du magasin est important... On ressort de là, 20 minutes plus tard avec du lait en poudre et des olives en boite! Il va donc falloir pêcher si on veut manger autre chose que nos conserves...



Pendant une dizaine de jours ce sera une succession d'escale dans le chapelet de petites iles qui bordent la cote nord et est du pays. Essentiellement constituées de mangrove, elle n'offrent que peu d'intéret si ce n'est que leurs eaux opaques sont poissonneuses. Nous en profiterons aussi pour gouter aux joies des contrôles de la "guardia" quasiment à chaque endroit ou nous nous arréterons, à notre arrivée et à notre départ, donc 2 fois par jour certains jours... Remplissage de formulaires inutiles et visite du bateau à chaque fois, un tantinet lassant pour tout dire... Nous savons que dans les iles du sud, la réglementation à tendance à s'assouplir alors on serre les dents et on prend patience.

Un poste de Garde-Frontière...
Puis nous arriverons la veille de Noël dans la baie de Corrientes, à Maria la Gorda, après une tardive navigation. Les instructions en notre possession nous font un portrait de l'endroit qui ne nous fera rester qu'une nuit et repartir. Nous mouillons de nuit à quelques encablures de la plage par 5 à 6 m de fond de corail, nous dérapons sur près de 80m avant de crocher dans une zone de sable. Le lendemain matin, le soleil rayonne déja haut dans le ciel quand nous emergeons pour un petit dejeuner en face d'une plage de sable blanc, l'eau est cristalline et nous distinguons un véritable aquarium sous le bateau... Tous nos amis sont là, les poissons anges, les sergent-major, les barbets, les balistes royales, les bleus, des bancs de chirurgiens multicolores et d'autres encore... Lors de notre descente à terre nous retrouvons un des garde-frontière que nous avions connus à la Havane, il nous apprend que nous n'avons pas de taxe de mouillage à payer contrairement à tout ce qu'il est écrit dans les instructions nautiques. Le paysage est beau et nous enchante, le soleil est présent et nous chauffe la peau, l'eau limpide et poissonneuse nous offre à manger, nous resterons finalement 10 jours dans ce petit coin de paradis, dont Noel et 1er de l'an. Nous ne sommes plus importunés par les controles, on se baigne plusieurs fois par jours, l'eau est redevenue notre terrain de jeu et de chasse... Nous sommes dans le sud !

C'est donc, à partir ici, que va s'ouvrir prochainement le nouvel épisode de notre voyage dans un Cuba au nouveau visage: les iles du Sud...

 Noël au soleil...
 
Et une grillade de poisson pour le Réveillon ...