C'est une petite histoire de mer simple. Simple par sa banalité et terrifiante par sa proximité.
Nous sommes au port en bout de ponton comme le sont souvent les catamarans en Bretagne. Au ponton d'à coté un catamaran de 13m flambant neuf. Je croise un copain marin sur les pontons, il m'apprend qu'il est équipier sur ce bateau et qu'ils doivent le convoyer jusqu'au Portugal. Sur ce bateau, plusieurs professionnels de la voile, ils sont là pour tester un nouveau concept de tissus de voile pour une grande marque, puis la garde robe est super complète, gennacker, spi asymétrique, spi symétrique. Ils sont 6 à bord, l'idée est claire, ils ont là pour tirer sur du cordage et pour aller vite en cadence de régate. Nous pas...
Lors d'un expresso à mon bord, je fais part à mon pote de nos nouvelles acquisitions, les balises de détresse individuelles que j'ai incorporées dans les gilets de sauvetage. Il me répond que eux aussi, ils ont tous de telles balises AIS.
On dîne ensemble le soir, pas d'abus de rhum car eux doivent partir vers 9h le lendemain. Nous, on a encore quelques bricoles à finaliser, on partira quand on partira... Ce sera vers 12h30.
On quitte le port et je décide de tirer un long bord très Ouest pour me dégager des cailloux de la sortie puis empanner et nous retrouver grand-largue/vent arrière bâbord amure. Le vent doit tourner en forcissant dans la nuit nous serons ainsi déjà sur la bonne amure nous évitant d'empanner de nuit.
Sur l'AIS, je repère l'autre cata. Ils ne sont qu'à une dizaine de milles de nous, mais déjà en mode guerrier à tricoter des bord de grand-largue entre les îles de la côte. Ils sont jeunes et plusieurs, qu'ils s'amusent ! Nous, nous ne sommes que deux à tout faire à bord, le rythme est plus serein. Ceci dit on n'aime pas perdre de temps non plus, on connait notre bateau et on sait comment l'exploiter.
Les premières 24h seront réalisées au portant, un vent stable et une mer plate nous offrent un 7,1 noeuds de moyenne sur l'orthodromie (route la plus courte).
Plus tard, le vent tournera encore et montera d'un cran. Nous réduirons avec un premier ris, génois 4/5. Nous enregistrerons régulièrement des surfs à 11/12 nœuds, avec une pointe à 14.
La nuit tombe. Noire comme de l'encre, pas de lune.
Nous sommes confortablement installés à table devant une bonne soupe de légumes bien chaude quand nous entendons une communication VHF assez brouillé dans un anglais approximatif. Il s'agit d'un cargo qui appelle quelqu'un, nous n'entendons que sa partie propre de la communication mais pas son interlocuteur, trop loin ou au signal trop faible. Puis nous comprenons clairement qu'il parle avec le catamaran qui est parti en même temps que nous, nous entendons clairement son nom, il demande leur position puis plus rien ... On s'interroge.... Puis à nouveau le cargo, qui précise qu'il à contacté le MRCC (équivalent international du CROSS) puis demande le cap et la vitesse qu'avait le bateau au moment ... de
l'homme à la mer !
Nous comprenons immédiatement: un équiper est tombé à l'eau. Nos gorges se serrent...
Nous repérons le cargo sur l'AIS, il est à 50 milles de nous, notre VHF ne porte pas jusqu'à lui pour lui demander la position du catamaran.
L'instant d'après nous voyons, toujours sur notre écran AIS, le cargo se dérouter, puis au même moment un hélicoptère des gardes-côtes faire route en mer. Grace aux caps du cargo combiné à celui de l'hélico nous pouvons tracer sur nos instruments le point de rencontre et positionner un waypoint MOB (Man OverBoard : homme à la mer).
Nous sommes à 55 milles à l'ouest, avec cette mer qui s'est levée et le vent de face nous en aurions pour 12 à 15 heures au mieux. On réfléchi à tout ce que l'on pourrait faire mais la réalité est que nous ne pouvons pas faire grand chose d'utile. C'est frustrant, mais c'est la réalité.
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La capture d'écran au moment du retour de l'hélico, nous sommes les cercles rouges, on voit les cargos en vert... |
Nous ne pouvons que suivre les conversations qui commencent à être hachées à la radio. Seul les signaux AIS sont visibles. L'hélico fonce sur zone à plus de 130 noeuds. Il arrive sur place moins d'1 heure après le déclenchement de l'alerte. Il faut faire vite, l'eau est à 8 degrés et l'hypothermie engendre très rapidement engourdissement, insensibilité puis évanouissement...
Vu les conversations que nous avions eu avant le départ sur le matériel de sécurité, on se félicite des techniques modernes de repérage GPS-AIS satellite et radio quand on voit l'hélico filer droit sur un point AIS au lieu de passer des heures en recherches aveugles. Nous perdons son signal quand il quitte son altitude de croisière et se rapprocher de l'eau. A ce stade, nous imaginons l'héli-treuillage et nous nous demandons simplement dans quel hôpital va-t'il envoyer l'équipier... Le signal de l'hélico réapparaît sur nos écrans alors qu'il est déjà en direction d'ou il est venu: sa base d'Aviles.
Nous sommes soulagés, l'intervention à été rapide et si la personne qui est tombé à une bonne constitution, un séjour à l’hôpital le remettra d'aplomb rapidement.
Quarante minutes plus tard, nous voyons l'hélico refaire route vers le point de convergence. Le cargo, maintenant suivi d'un deuxième, est toujours en route vers ce point. On s'interroge mais sans réponses, puis la distance nous fera perdre les signaux ...
Le lendemain, nous arrivons à la hauteur du cap Ortegal, à portée de VHF quand nous recevons l'appel radio "MayDay" des gardes-côtes pour un homme à la mer. Au même moment nous voyons le signal de l'hélico qui reprend la mer... Nous comprenons rapidement que la personne tombée à l'eau n'a pas été retrouvée ... Cela fait maintenant 12 heures qu'elle est dans l'eau... Son état doit être critique, son pronostic vital engagé. On reste en veille radio, mais nous n'avons pas plus de nouvelles...
Le vent à forcit, nous avons 35 nœuds sous 2 ris.
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Au matin, nous voyons l'hélico reprendre la route ... |
Plus tard, nous serons suffisamment proches des côtes pour avoir un signal téléphonique. Angoissé, j'envoie un message à mon copain pour avoir des nouvelles. Leur bateau à fait route vers le port le plus proche, ils sont à quai. Sa réponse est rapide: " Nous avons perdu un ami, je suis effondré... malgré toutes les recherches qui ont été effectuées toute la nuit, nous ne l’avons pas retrouvé... ".
Lors de l'affalage du spi, il s'est fait catapulté en dehors du bateau et ... il n'avait pas son gilet ...
La mer formée, l'eau glaciale et la nuit noire auront fait le reste ...
Ils étaient 6, certains parfaitement entraînés aux manœuvres, alors nous imaginons facilement si cela devait nous arriver...
En dehors de notre entrainement, de la systématisation de certaines manœuvres, nous avons des
"Règles d'Or" à bord, comme de mettre son gilet :
- 1/ quand on est seul
- 2/ de nuit
- 3/ à partir du premier ris
et nous allons continuer fermement à les appliquer, cet épisode malheureux nous l'a encore confirmé.
Nous avions une partie de matériel de sécurité à mettre à jour cet été, nous avons investi dans de nouveaux gilets plus ergonomiques et permettant d'y inclure une balise AIS.
Quant au reste de notre voyage, nous arriverons à Baiona, le lendemain matin. Pas un seul bateau au mouillage, les pontons visiteurs sont vides. Une idée nous vient de demander les tarifs au Yacht Club de Baiona, les prix "hors-saisons" sont si attractifs que nous ne pouvons refuser ... Nous sommes donc les hôtes du
Monte Royal Yacht Club de Baiona, petite cité de caractère que nous connaissons déjà mais que nous allons prendre plaisir à re-découvrir. En effet, un flux de sud va nous faire rester ici, une bonne semaine ...
- Volontairement et par respect aucun nom n'a été mentionné dans cet article -